Appel pour la renaissance de la fête populaire,
lancé par Basile Pachkoff le 28 juin 2015 lors de l’inauguration
de la Maison du Jouet Rustique de Pujols (Lot-et-Garonne) :
Je remercie Monsieur le Maire, Madame la Première adjointe, et la municipalité de Pujols pour leur généreuse invitation. Et pour le très grand honneur qui m’est fait de me choisir pour parrainer ce lieu unique au monde : la Maison du Jouet Rustique. Je remercie aussi Daniel Descomps pour avoir proposé mon parrainage. Lui et moi développons nos efforts, chacun de notre côté, à Pujols et Paris, dans le même but : le bonheur ludique des peuples. Pour illustrer mon propos, je vais vous parler brièvement de la base oubliée du grand Carnaval de Paris : le mouvement des goguettes. Sommairement, une goguette, c’est un petit groupe de personnes qui viennent chanter ensemble.
J’ai compris, au bout de 18 ans de recherches, que les goguettes étaient la base de la fête vivante et populaire en France. De célèbres chansons ou comptines françaises viennent des goguettes, comme : Frère Jacques, Dansons la Capucine, Ma Normandie, Le Temps des cerises, L’Internationale, Turlututu chapeau pointu, Fanfan la Tulipe, l’air du Carnaval de Dunkerque. Les goguettes formaient jadis un très prospère mouvement de masses. On en rencontrait partout. Par exemple, savez-vous qu’aux obsèques de Victor Hugo en 1884, la participation d’une goguette – celle des Béni-Bouffe-Toujours, – fut très remarquée ? Des goguettes, il y en avait des milliers – dont des centaines à Paris, – et d’autres ailleurs, jusque dans les petits villages. Les livres d’Histoire officielle n’en parlent pas. Certains auteurs les mentionnent uniquement comme des lieux d’opposition républicaine au régime royal ou impérial. En fait, la plupart des goguettes n’avaient aucune orientation politique. D’autres auteurs réduisent les goguettes à des préfigurations des cafés-concerts, qui auraient pris ensuite leur place. Et beaucoup déclarent, en niant la réalité, que les goguettes ont disparu vers 1851, interdites sous le Second Empire. Cette fable fut inventée par des Républicains après la chute du Second Empire. Ils le chargeaient de tous les maux possibles. Et cherchaient ainsi à valoriser la Troisième République.
En quoi consiste une goguette ? C’est un groupe traditionnel, convivial, libre, bénévole, ludique et gratuit. Qui se réunit ponctuellement pour partager des plaisirs simples. Boire, manger, converser, rigoler, danser. Et surtout : chanter des chansons. Il ne coûte rien financièrement. Il peut également s’appeler autrement que goguette, par exemple : société lyrique, société des amis réunis, société bachique et chantante, société chansonnière, dîner chantant, société philanthropique et carnavalesque, etc. Ce groupe doit rester petit. Pour être viable, il doit compter au plus 19 participants. Cette question du nombre est cruciale. Si on arrive à 20, on constate que ça ne fonctionne plus pareil. On atteint une sorte de masse critique. Quand cette masse critique est dépassée, de nouveaux problèmes arrivent. Et créent des dissensions parmi les membres. C’est presque toujours l’échec assuré à moyen terme.
Ce phénomène a causé la disparition de pratiquement toutes les goguettes. Voyons comment ça s’est passé. En France, jadis, une loi frappait d’une lourde amende les associations regroupant sans autorisation plus de 19 personnes. Comme on le verra, cette loi répressive, sans que ce soit son but, protégeait en fait les goguettes. À Paris, pour éviter l’amende, les goguettes comptaient au plus 19 participants. En 1835, un procès fut intenté à la goguette de l’Enfer qui avait outrepassé le nombre de 19. Dans cette goguette parisienne, les membres avaient pour sobriquets des noms de démons. Ce procès fit jurisprudence. Il établit que si la réunion avait pour seul but de « boire et chanter », le nombre de participants autorisé pouvait dépasser 19. Alors, les goguettes commencèrent à dépasser 19 participants. Perdirent leur fonctionnement chaleureux, amical, fraternel, familial. Connurent des dissensions internes, des ambitions de commandements, des parasitages divers. Elles voulurent des moyens, de l’argent, des locaux. La politique s’en mêla. Ce fut une fuite en avant. Les goguettes s’affaiblirent. Reculèrent. Disparurent. Et furent oubliées. Ce processus a pris des décennies. Seules les goguettes de Dunkerque et des villes alentours résistèrent. Pourquoi ? Parce qu’à l’origine Dunkerque est une ville de marins-pêcheurs allant pêcher, chaque année, la morue au large de l’Islande et de Terre-Neuve. Cette pêche se pratiquait avec des lougres. Qui étaient de petits bateaux à voiles, montés par des équipages de 12 hommes. Les goguettes de Dunkerque et des villes alentours étaient à l’origine des goguettes de marins-pêcheurs. Traditionnellement, elles étaient – et sont encore aujourd’hui, sauf trois ou quatre, – de la taille des équipages morutiers dunkerquois. Résultat : à Dunkerque – et dans les villes alentours, – il y a toujours un formidable et très chantant Carnaval. Ailleurs en France, presque partout, les goguettes ont disparu. Et le Carnaval a disparu.
À Paris, j’ai fait renaître le Carnaval. Et à présent, que faire pour rétablir la tradition des goguettes d’avant 1835 ? Donner l’exemple. Dans ce but – et pour s’offrir des moments festifs partagés, – depuis mars 2014, je crée une nouvelle goguette parisienne. Nous sommes à présent 12 très motivés, dont un guitariste. Notre goguette n’a ni cartes d’adhérents, ni cotisations, ni bureau, ni statuts déposés. N’a même pas de nom. Elle fonctionne très bien. Se réunit une fois par mois. Et espère faire école. Nous pourrons aussi un jour nous équiper avec une percussion et des jouets rustiques : des mirlitons ou bigophones. Qui sont des sortes de mirlitons améliorés. Nous renouerons ainsi avec une grande tradition qui voyait – à partir des années 1880, et durant 60 ans, – des centaines, puis des milliers de goguettes organisées en fanfares bigophoniques dans toute la France. Et des milliers d’autres de par le monde, comme aux États-Unis, où il en existait notamment des centaines montées sur bicyclettes.
L’oubli du mouvement des goguettes à Paris rend difficile sa renaissance dans la capitale. Renaissance qui pourrait démarrer plus facilement ailleurs. Et ensuite gagner Paris, en venant par exemple de Pujols, où mon appel serait plus facilement entendu et suivi. En faisant goguette – tout en nous amusant, – nous faisons reculer un des plus grands fléaux de notre temps : le sentiment de solitude. Dont souffrent un grand nombre de gens – de tous les âges, et toutes les conditions sociales, – habitant aussi bien en ville qu’à la campagne. Nous pourrons également suggérer à des enfants de créer leurs goguettes. Qui les fera grandir, créer et s’amuser. Je suis prêt à apporter bénévolement mon aide à tous ceux qui souhaiteraient créer des goguettes. Pour vivre heureux, il nous faut beaucoup de jouets, et aussi beaucoup de goguettes. Je rêve qu’il y ait un jour des millions de goguettes dans le monde. Que la société soit réorganisée sur une base ludique, optimiste et festive. J’aimerais que mon appel soit historique en ce sens. Et contribue à ce changement. Mon amie Alexandra – qui en 2010 à Asnières-sur-Seine avait créé une goguette, – me disait : « avant de faire une chose, il faut commencer par la rêver. »
On doit insister sur le fait que la Maison du Jouet Rustique se veut une référence en ce qui concerne le Jouet rustique. Mais qu’elle n’en reste pas moins avant tout un lieu ludique et festif. Par les diverses animations dont elle sera le centre, par exemple : le lieu de rencontre de futures goguettes. Mes 22 ans de recherches – et combats pacifiques, – pour la renaissance du Carnaval de Paris vont aussi servir à l’épanouissement de la joie partagée à Pujols. C’est clair : jouons la synergie ! Si demain à Pujols, autour de la Maison du Jouet Rustique, naissent par exemple rien que quatre goguettes. Nous aurons ainsi au moins une soixantaine de fêtards organisés. Alors, la physionomie, l’atmosphère de la ville chantera. Et changera. Le dimanche après-midi, quelques goguettes vont se promener en ville… imaginez le tableau ! Quand il y a les touristes, c’est le succès assuré. Ça pourra même en faire venir en plus. En associer aussi. Qu’ils aillent essaimer ensuite en rentrant chez eux. Organisent d’autres goguettes ailleurs. Et, en dehors de la saison, grâce aux goguettes, l’animation de Pujols continue toute l’année. Des goguettes pujolaises participent à toutes les fêtes et animations. Que ce soit pour un mariage, un anniversaire, une naissance, un départ en retraite, ou le Carnaval. J’espère vous avoir montré en quoi et comment se rejoignent dans un même but : la Maison du Jouet Rustique de Pujols et le Carnaval de Paris. Je vous invite à prendre des initiatives. À créer des goguettes. Pour croquer la vie à pleines dents. Sans dépenser un sou. Librement vous amuser. Et que vivent la Joie et la Chanson. Je vous remercie pour votre attention. Et à présent ! Nous allons passer à la pratique ! Daniel Descomps va vous distribuer des mirlitons ! Qu’il a fabriqué pour vous ! Jouons ensemble et amusons-nous tous joyeusement !!!